Tennis de table et médecine du sport

Sabine ArentzInterview avec le médecin d’association Sabine Arentz

Depuis 2011, Sabine Arentz occupe le rôle de médecin d’association. Elle assure ainsi le suivi des joueurs/-ses du cadre STT et donne des conseils à ses protégés et à l’entraîneur national. Auparavant, l’orthopédiste du sport travaillait pendant de longues années pour la fédération allemande de tennis de table et avait donc l’occasion d’acquérir de larges connaissances de notre sport. Dans une interview détaillée, Sabine Arentz donne des renseignements sur la médecine du sport en tennis de table en expliquant, entre autres, l’intérêt d’entraîner la musculature dorsale et d’utiliser des tapes. Elle énumère des blessures typiques, mais présente aussi les effets positifs du tennis de table sur la santé.

 

Interview : STT, photos : Sabine Arentz, René Zwald

 

Madame Arentz, est-il vrai, qu’avant de travailler comme médecin d’équipe de la fédération allemande de tennis de table (DTTB), vous n’aviez aucun lien avec le tennis de table ? Quelles étaient vos premières expériences et quels étaient les plus grands défis au début ?
Oui, c’est vrai. Avant de commencer ce travail lors des CM à Osaka en 2001, je n’avais aucun lien avec le tennis de table. Je n’avais pas non plus l’occasion de m’y préparer puisque l’équipe était déjà au Japon et que le médecin d’équipe de l’époque avait dû quitter le pays subitement. J’étais envoyée au Japon pour le remplacer. Je n’avais donc pas le temps de nourrir des attentes particulières. J’étais toutefois immédiatement séduite par l’ambiance familiale du tennis de table et par le suspense, la technique variée et la vitesse du jeu.

 

Finalement, le plus grand défi était de satisfaire aux besoins des athlètes sans connaître la sollicitation physique et les problèmes typiques en matière de tennis de table. Dans ce domaine, l’équipe m’a beaucoup aidée. J’ai appris beaucoup de choses du tennis de table et cette fascination ne m’a plus quittée.

 

Quel était le moment fort durant votre travail pendant de longues années comme médecin de l’équipe nationale allemande ?
J’ai vécu beaucoup de moments forts sportifs et émotionnels. D’une part, j’avais la chance de vivre l’évolution de certains athlètes, p.ex. Dimitri Ovtcharov en l’accompagnant depuis sa jeunesse jusqu’au moment où il intégrait l’équipe allemande pour rejoindre l’élite mondiale. Ou Timo Boll qui effectuait des travaux de conciergerie à l’Institut de la médecine du sport à Francfort dans le cadre de son service civil en 2002 (j’y travaillais à cette époque) et qui remportait son premier titre de Champion européen à Zagreb quelques semaines plus tard. Là encore, j’y assistais comme médecin d’équipe. D’autre part, les affrontements réguliers avec les Chinois étaient (et sont toujours) un défi sportif et émotionnel pour toute l’équipe. Personnellement, j’ai vécu le plus grand moment lors des Jeux olympiques à Athènes, même si le résultat sportif de l’équipe était plutôt décevant.

 

Quelles sont les blessures typiques en tennis de table ?
Les blessures aiguës sont plutôt rares. Il s’agit alors de foulures ou de torsions du genou ou de la cheville (élongation ou rupture des ligaments), de blessures aux doigts (en se cognant à la table), de contusions, d’élongations ou de ruptures musculaires, dans la plupart des cas aux extrémités inférieures.
Les douleurs suite à une sollicitation trop importante ou à une sollicitation mal gérée surviennent surtout dans la partie inférieure du dos, dans les épaules, les bras et les poignets, mais aussi au niveau de la musculature du bras de frappe et de la musculature et des tendons des jambes.

Quel est le risque de blessure par rapport à d’autres sports ?
Le tennis de table n’étant pas un sport de contact, le risque de blessure est, d’une manière générale, relativement faible. L’appareil locomoteur est en outre moins sollicité par rapport au ski alpin, p.ex. Les mouvements au-dessus de la tête sont rares (par rapport au tennis, p.ex.). Puisque la raquette de tennis de table est courte, le bras de levier est également court.

 

Quels sont en revanche les effets positifs du tennis de table sur la santé ?
Le tennis de table est un sport complexe qui sollicite tout le corps et donc pratiquement tous les groupes musculaires. Pour le pratiquer, il faut être attentif et rapide et pouvoir se concentrer. Ces éléments sont donc particulièrement entraînés. Un sport à intervalles comme le tennis de table avec les changements de vitesse rapides sollicite en outre passablement le système cardio-vasculaire et les poumons. Le fait de pouvoir s’adapter à ces changements de sollicitation est clairement bénéfique pour la santé.

 

Quel est le risque de subir des dommages à long terme en tennis de table (pratiqué à haut niveau) ?
Ce risque n’est certainement pas très élevé. Si au cours de sa carrière de tennis de table, un joueur subit des blessures graves ou supporte une sollicitation trop importante durant longtemps, ces circonstances peuvent évidemment mener à des dommages à long terme. D’une manière générale, les dommages à long terme ne sont toutefois pas une issue logique. Chez les „vieux » Suédois Waldner et Karlsson, des troubles au niveau du rachis cervical et lombaire jouaient finalement un rôle central. Comme médecin d’association de Swiss Table Tennis, j’ai entre autres l’objectif de détecter suffisamment tôt les sollicitations mal gérées et les sollicitations trop importantes ainsi que les déficits physiques des joueurs/-ses afin de prévenir des dommages à long terme.

 

Dans ce contexte, quelle est l’importance du fait qu’en tennis de table, un côté du corps est nettement plus sollicité que l’autre ?
Dans le cadre de l’examen de médecine sportive de l’équipe suisse, je vois régulièrement deux joueurs dont la musculature du côté dominant du corps (bras de frappe) est nettement plus développée surtout au niveau du haut du corps que l’autre côté. Là, il faut accorder une attention particulière à l’entraînement musculaire du côté non dominant. Il est aussi judicieux de faire des entraînements avec la « mauvaise » main. Du moment où le joueur ne souffre pas de problèmes de dos ou d’une déformation de la colonne vertébrale, il s’agit d’un phénomène bénin. Je discute néanmoins régulièrement avec l’entraîneur national concernant une musculation adéquate du côté non dominant.

 

Sur quels muscles les joueurs/-ses de tennis de table devraient-ils particulièrement se concentrer pour prévenir des problèmes physiques (blessures/dommages à long terme) ?
Il faut notamment bien entraîner la musculature du dos car la colonne vertébrale est beaucoup sollicitée étant donné que les joueurs se tiennent constamment penchés en avant. Un autre aspect est l’étirement des muscles des bras et des jambes afin de prévenir le raccourcissement musculaire et d’éviter ainsi des blessures. L’entraînement spécifique des muscles stabilisateurs de l’épaule permettent de prévenir une trop grande sollicitation de l’articulation scapulaire. L’entraînement de la force rapide est également important afin de pouvoir faire face à des changements de direction rapides et à des sollicitations explosives. Cela est valable pour les sportifs de haut niveau mais aussi pour les joueurs qui pratiquent le tennis de table comme sport de loisirs.

 

Bernadette Szocs avec un tape au brasAu cours de ces dernières années, les tapes sont devenus une véritable mode. Quel est leur effet et pouvez-vous recommander leur utilisation ?
Il faut faire la différence entre les tapes fixes et rigides et les kinesio tapes élastiques.

Les tapes non élastiques permettent surtout de stabiliser et d’immobiliser les articulations et peuvent aussi être utilisés comme soutien et compresse lors des blessures musculaires.

 

Les kinesio tapes sont doux et élastiques et sont utilisés pour augmenter ou diminuer la tension musculaire et pour la décongestion. Il est aussi possible d’obtenir une stabilisation en activant certains muscles. Après une instruction adéquate, le sportif peut aussi lui-même poser les différents tapes. S’il est bien posé, le tape est un moyen précieux qui ne doit pas être sous-estimé.

Certains joueurs/-ses refusent toutefois de mettre des tapes visibles (p.ex. sur le bras de frappe, la jambe), car ils pensent que l’adversaire suppose une blessure et pourrait ainsi se sentir supérieur avant d’avoir commencé le match.

 

Timo Boll a ou avait régulièrement des problèmes au bas du dos, Michael Maze a dû subir une opération aux deux hanches. S’agit-il de zones qui sont typiquement sujettes à des problèmes en tennis de table ?
Les douleurs dorsales sont en effet un sujet qui est fréquemment abordé en tennis de table. Cela s’explique par le fait que le joueur se tient constamment penché en avant et que depuis cette position, il exécute des mouvements réactifs et rapides. Il étire en plus le cou en attendant le service/l’attaque. Il faut donc avoir une bonne stabilité musculaire dans cette zone afin d’éviter une sollicitation mal gérée ou une sollicitation trop importante. Les hanches ne font par contre pas partie des zones typiquement sujettes à des problèmes. Les muscles et les tendons des extrémités inférieures, plus rarement aussi du bras de frappe, sont plus sollicités.

 

Quelle est l’importance de l’alimentation d’un/-e joueur/-ses de tennis de table ?
L’alimentation joue un rôle non négligeable pour la santé et pour les performances possibles. Il faut surtout veiller à une alimentation équilibrée et à un bilan énergétique et hydrique équilibré. Les fruits et légumes frais ainsi que les produits laitiers doivent faire partie de l’alimentation. Il y a un moment, Timo Boll s’intéressait à l’alimentation végane. Il ne se nourrit toutefois pas complètement de manière végane, mais consomme un peu de viande, beaucoup de légumes, le moins de graisse possible et peu de sucre. Une alimentation végétarienne, voire végane peut être problématique pour un sportif de haut niveau, car elle peut diminuer le potentiel de performance.

Comment jugez-vous les performances physiques de nos athlètes ?
Depuis 2011, les performances physiques et mentales de nos joueurs/-ses ont évolué très positivement. Les résultats obtenus ces derniers temps (dernièrement lors des CM à Tokyo) reflètent ce fait. Je suis certaine que les examens internes, physiologiques et orthopédiques auxquels les membres de l’équipe nationale se soumettent régulièrement y ont également contribué. Je suis en outre à tout moment à disposition des joueurs/-ses s’ils ont besoin d’un conseil.

 

Merci pour cette interview captivante !

 

Portrait de Sabine Arentz
Spécialiste en orthopédie avec certificat de capacité en médecine du sport et en médecine manuelle
Travaille à la Swiss Sport Clinic Bern, Sempachstrasse 22, 3014 Bern. www.swiss-sportclinic.ch

Depuis 2011, médecin de l’association Swiss Table Tennis.

De 2001 à 2010, médecin de la fédération allemande de tennis de table,

médecin de la spécialité trampoline, fédération allemande de gymnastique.

Activités sportives : Vice-championne du monde d’aviron (à huit),

ski de fond (plusieurs participations au marathon de ski de fond de l’Engadine), vélo de course.